Comment l’industrie 4.0 peut-elle sauver l’industrie française ?
Regard d’expert : décrypter un enjeu clé du monde industriel
Un sujet vaste et structurant s’ouvre à nous. Chez Coexya, nous avons à cœur de donner la parole à nos experts pour éclairer les enjeux clés de nos secteurs. Fort de plus de dix années d’expérience dans le monde industriel et nourri par plusieurs années de pratique et de formation en amélioration continue, l’un de nos collaborateurs partage ici, avec humilité, ses réflexions et pistes d’analyse sur une problématique aussi complexe que stratégique.
Un constat inquiétant pour l’avenir…
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : au second semestre 2024, la France a enregistré 34 fermetures nettes d’usines, suivies de 25 nouvelles fermetures nettes au premier semestre 2025. Cette situation n’a pas été observée depuis une dizaine d’années. Depuis 1970, la France est le pays européen qui se désindustrialise le plus. Aujourd’hui, le poids de l’industrie manufacturière dans le PIB national est seulement de 9,7% au deuxième trimestre 2025 contre une moyenne de 18,15% entre les années 1970 et 1990.
Certains secteurs d’activités sont particulièrement touchés comme l’agroalimentaire, l’automobile et la métallurgie. Parmi les fermetures figurent des sites industriels historiques comme ceux de Michelin à Cholet et Vannes, et dernièrement encore celui de Teisseire à Crolles, mais également des PME et ETI.
Les causes de cette désindustrialisation sont multiples et convergentes. Examinons-en quelques-unes parmi les plus significatives :
- Baisse de compétitivité liée à une hausse des coûts de production :
– Le coût du travail a augmenté en France. De 2013 à 2021, il y a eu un bond de 17,8%
– Le niveau de fiscalité pesant sur les entreprises est très important
– Le coût de l’énergie est beaucoup plus élevé en Europe qu’en Chine ou aux Etats-Unis (par exemple, le coût de l’électricité est 4 fois plus cher en Europe qu’en Chine et 2 fois plus cher qu’aux Etats-Unis)
- Evolution des comportements de consommation : les clients recherchent de plus en plus des produits personnalisés et exclusifs, accordent une attention croissante aux aspects environnementaux et sociétaux et sont de plus en plus connectés. Le lancement de productions unitaires, ou presque, coûte beaucoup plus cher et ne permet plus de rentabiliser les opérations coûteuses de réglage par exemple.
- Durcissement des contraintes réglementaires : en 2025, les entreprises françaises font face à une transformation majeure du paysage réglementaire avec l’évolution des normes environnementales, sociales et numériques. Prenons l’exemple de l’intensification de la mise en œuvre de la loi Climat et Résilience et de la directive européenne CSRD (Corporate Sustainibility Reporting Directive) avec une obligation de publication d’un bilan carbone complet pour les entreprises de plus de 50 salariés.
- Ouverture de nos marchés à des produits ne respectant pas les mêmes normes de qualité, sociétales ou environnementales ; on peut citer la fast fashion régulièrement épinglée pour l’utilisation de substances chimiques controversées et ses conditions de travail indignes. Sur le plan environnemental, nous observons de plus en plus de grandes villes d’Asie suffoquer sous des nuages de pollution extrême, conséquence directe d’une production sans contrainte. A l’inverse, les industriels français investissent pour se conformer à des règlementations strictes : contrôles qualité, stations d’épuration, dispositifs antipollution, … Ces obligations alourdissent les coûts de production et creusent l’écart avec des produits importés.
- Perte de savoir-faire industriel : trop souvent, les salariés quittent l’entreprise ou partent à la retraite sans que leur remplacement ait pu être assuré. Au-delà d’un manque d’anticipation, de fortes tensions pèsent sur le recrutement de certains profils. Le recrutement de techniciens d’usinage ou de techniciens de maintenance en est un exemple flagrant. Ces métiers souffrent d’une pénurie de candidats qualifiés sur le marché de l’emploi. Même le recours à des chasseurs de tête ne garantit pas le succès des recrutements. En parallèle, les formations initiales ne sont pas assez nombreuses et les promotions de jeunes diplômés sont très petites. Malgré des salaires attractifs, ces métiers peinent à séduire les nouvelles générations.
- Manque d’investissements humains et financiers :
– Incertitude économique mondiale : les chefs d’entreprise ne prennent aucune décision d’investissement, gèlent leurs projets et attendent pour embaucher.
– Mauvaise gestion d’entreprise : par exemple, sur le site de Vencorex en Isère, Séverine Dejoux, salariée, estime que « les exploitants successifs ont peu investi sur la plateforme, se reposant sur les acquis du site et se concentrant à chaque transmission sur les activités les plus rentables, au détriment d’une vision globale de l’entreprise ».
– Manque de formations aux technologies d’avenir
La France semble s’enliser dans un attentisme. Pendant ce temps, les concurrents internationaux mobilisent des ressources considérables pour faire évoluer leurs productions et leurs entreprises creusant un fossé de plus en plus important.
…Mais il existe encore une solution : l’industrie 4.0
Il est encore possible de contrer cette situation grâce à l’industrie 4.0.
Avant d’aborder quelques succès concrets de cette nouvelle ère industrielle, il est essentiel d’en expliquer rapidement le principe. L’industrie 4.0 repose sur l’intégration de systèmes intelligents, connectés et autonomes au sein de la production et des processus industriels. Elle englobe un ensemble de technologies parmi lesquelles les réseaux IoT (objets connectés), le Cloud, l’intelligence artificielle, le Big Data, les impressions 3D, les jumeaux numériques, les cobots, … Cette approche vise à renforcer les compétences des salariés en leur fournissant des outils intelligents qui augmentent leur efficacité et éclairent leurs prises de décisions.
Voyons à présent plusieurs exemples d’entreprises ayant adopté ces nouvelles solutions et qui en illustrent concrètement les bénéfices.
Commençons par un projet global d’industrie 4.0 porté par l’entreprise ManiKHeir, filiale du groupe canadien Medicom
ManiKHeir a travaillé sur la réindustrialisation en France d’un savoir-faire disparu d’Europe dans les années 80 : la production de gants en nitrile à usage unique, destinée aux établissements de santé et aux industries sensibles. Le site est équipé de 4 lignes de production 4.0 pour une production de plus de 900 millions de gants par an. Il emploie, en mars 2024, 154 collaborateurs et a nécessité un investissement de 88 millions d’euros soutenu pour 10 millions d’euros par l’Etat dans le cadre de France 2030 et pour 5 millions d’euros par la Région des Pays de la Loire. Le site est entré en fonctionnement en septembre 2023 et a remplacé une ancienne papeterie fermée en mars 2019. Pour mémoire, cette fermeture avait entraîné la suppression de 580 emplois.
Pour recréer le savoir-faire perdu, 1600 capteurs ont été installés sur les lignes de production afin de récupérer un maximum de données. Tous les éléments remontés sont centralisés via les systèmes SCADA et MES, et affichés dans une salle de contrôle où une équipe de 2-3 personnes assure la surveillance en temps réel. Ces données jouent un rôle essentiel pour :
- Réguler les paramètres clés tels que le pH, la viscosité, la température, le niveau des bacs, etc
- Garantir une qualité constante du produit toute l’année, quelles que soient les conditions
- Faciliter la libération des lots, en s’appuyant sur une base de données bien étayée pour accélérer les processus et répondre aux exigences réglementaires.
- Alimenter le programme d’amélioration continue, notamment pour optimiser les températures des fours
- Innover : par exemple, concevoir un gant plus léger répondant aux mêmes propriétés techniques
- Extraire des indicateurs de performance (KPI) permettant de suivre précisément le TRS (Taux de Rendement Synthétique)
L’entreprise développe également un programme vidéo capable de détecter les micro-trous, les petites salissures ainsi que les doubles couches de nitrile, afin d’identifier et d’extraire les gants ne répondant pas aux normes qualité. Ce programme intègre des technologies d’intelligence artificielle, comme le machine learning, afin d’apprendre des données et devenir plus performant.
Une commande du ministère de la Santé permettant de livrer tous les hôpitaux français publiques leur permet, pendant 4 ans, d’apprendre à mieux faire les gants, plus vite avec moins de déchets pour être plus compétitif. Le temps pour l’entreprise d’aborder au mieux la phase 2 du projet, prévue à l’horizon 2027. Elle consiste à doubler les lignes de production. Pour évoluer sur cette phase, il faudra également que ManiKHeir soit soutenu par le secteur privé. Cette phase 2 permettrait d’embaucher 150 personnes supplémentaires avec un objectif de 1,6 milliards de gants par an.
Sans les apports de l’industrie 4.0 et compte tenu de la masse de données impliquée dans ce projet, sa réalisation aurait été impossible.
De tels projets peuvent impressionner car ils représentent des investissements conséquents et des risques importants. Mais l’industrie 4.0 ne se résume pas à cela. Elle peut aussi s’incarner dans des projets plus modestes, à taille plus humaine, permettant d’évoluer progressivement, à un rythme maîtrisé.
Un exemple concret de cette montée progressive technologique est Puget Production Mécanique, une PME familiale fondée en 1974, spécialisée dans l’usinage de précision et l’assemblage de sous-ensembles pour divers secteurs exigeants (aéronautique, défense, spatial, ferroviaire, nucléaire, agroalimentaire, …). Depuis 2003, la société intègre graduellement des briques technologiques pour répondre à des enjeux stratégiques majeurs :
- Rendre la production flexible, agile, intelligente et performante
- Garantir une traçabilité totale
- Renforcer la compétitivité par la maîtrise des coûts
- Eliminer les opérations sans valeur ajoutée
- Attirer les talents et développer les compétences internes
- Réduire l’impact énergétique et environnemental
Pour répondre à ces sujets, l’entreprise a peu à peu mis en place les éléments suivants :
- Intégration d’un MES permettant la supervision intégrale de la production avec un suivi en temps réel des 21 machines, la planification et l’ordonnancement de la production (budget avoisinant les 100 000€ avec une aide de NUMERICA et du CETIM à hauteur de 50% sur la partie logiciels)
- Applications maison sur tablettes
- Machines d’usinage équipées de bras robotisés programmables
- Système automatisé d’approvisionnement d’outils
- Réorganisation, rénovation et extension des locaux
Globalement, plus de 6 millions d’euros ont été investis entre 2014 et 2019, avec des bénéfices significatifs observés :
- Extraction d’indicateurs précieux sur le taux de performance de chaque machine ainsi qu’une consolidation des données de production pour gagner en productivité et en souplesse d’organisation
- Diminution de 15% des temps de déplacement notamment pour rechercher la matière nécessaire à chaque fabrication
- Réduction de 50% des taux de non-conformité interne et externe
- Augmentation de 75% du taux de réalisation de la maintenance de 1er niveau
- Robotisation de très petites séries
- Augmentation de la production avec le travail de nuit des machines robotisées
- Réduction de plus de 30% des TMS (Troubles Musculo Squelettiques) et du taux d’absentéisme
- Réduction du taux horaire de 25%
- Réduction de 66% de la consommation de gaz et de 10% de l’électricité
Ces améliorations témoignent d’une volonté forte de la direction, mais également d’une attente partagée par les collaborateurs, qui sont au centre de chacune des initiatives.
L’industrie française est-elle prête à en saisir pleinement le potentiel ?
Ces exemples mettent en évidence que l’industrie 4.0 est une opportunité majeure pour le secteur industriel : elle crée de nouveaux emplois, améliore la compétitivité, facilite le suivi réglementaire, compense la perte de savoir-faire et permet une meilleure réactivité face aux évolutions du marché. Autant de leviers qui répondent aux défis actuels de l’industrie française.
Pour accompagner cette transition technologique, plusieurs dispositifs de soutien sont accessibles aux entreprises. On peut citer notamment l’Etat avec le plan « France 2030 » et les financements de la BPI, du CETIM ou encore des différentes Régions.
Reste maintenant à savoir si les industriels français sont prêts à franchir le pas. Car choisir de ne pas évoluer, c’est prendre le risque de se faire dépasser alors que les opportunités offertes par l’industrie 4.0 n’ont jamais été aussi accessibles.
Chez Coexya, nous mettons à votre service l’expertise combinée de nos spécialistes industriels et digitaux pour accompagner vos projets de transformation, qu’ils soient ambitieux ou plus ciblés, comme illustré précédemment. Notre force : une capacité d’adaptation à chaque contexte. À l’écoute de vos besoins, nous analysons vos enjeux pour concevoir des solutions technologiques sur mesure. Votre satisfaction est au coeur de nos engagements. Ensemble, façonnons l’industrie de demain.
A propos de l’expert
Diplômée ingénieure généraliste de l’ECAM Lyon en 2011 et titulaire d’un mastère spécialisé en Management de l’EM Lyon Business School, en partenariat avec Montpellier SupAgro, Lucie Saurel a bâti une solide expérience de 10 ans dans l’industrie mécanique pharmaceutique. Elle a occupé des fonctions clés et évolué jusqu’à la direction de production. Son parcours s’est distingué par la conduite de projets stratégiques à fort impact : amélioration continue, optimisation des flux, pilotage d’équipes pluridisciplinaires et déploiement d’un ERP à l’échelle de l’entreprise.
Convaincue par l’importance du digital, elle a acquis des compétences en développement web, ce qui lui permet aujourd’hui, en tant que Chef de projet Industrie 4.0 chez Coexya, de piloter des transformations technologiques et accompagner les entreprises vers des solutions connectées et intelligentes.